11 mars 2022
Dentiste défensif… quel rapport avec les compétences et le burn-out?
Avez-vous déjà rencontré cette appellation?
Peut-être pas encore…
Explication :
On peut parler de médecine défensive pour décrire une pratique où le praticien de santé agit dans le but premier d’éviter les doléances du patient ou de se couvrir vis à vis d’un risque judiciaire. Cela peut entraîner deux types de comportement :
- La prescription ou la réalisation de soins médicaux statistiquement inutiles pour le patient
- L'évitement d'actes considérés à fort risque d'échec, ou à résultat incertain
Selon le cas, cela peut conduire à du sur-traitement, à adresser le patient pour déléguer les soins, ou à masquer l’existence d’un besoin de soins médicaux, ou l’existence d’une possibilité thérapeutique.
Un phénomène en accélération
Le phénomène semble prendre de l’ampleur, notamment parmi la jeune génération. Il soulève la question de la pertinence des actes, et par voie de conséquence celle du surcoût que cela entraîne, soit par augmentation du nombre d’actes considérés médicalement non-nécessaires, soit par la perte de chance due au retard ou à la non prise en charge des pathologies diagnostiquées.
Nous sommes donc à la lisière entre sur-diagnostic, sur-traitement d’une part et retard ou sous-traitement d’autre part…
Et en dentisterie?
Les dentistes n’échappent pas à cette évolution qui dépasse les frontières.
Cela se traduit de façon variable selon nos habitudes, nos compétences, l’idée que nous nous faisons de nos compétences, notre plateau technique.
Et cela est également encouragé par l’obsolescence de notre nomenclature qui sous-évalue notoirement un grand nombre d’actes. Le risque de l’évitement d’actes insuffisamment rémunérés est un effet pervers direct de l’inadaptation des tarifs imposés à la réalité du coût économique des soins.
Etes-vous vous-même devenu un dentiste défensif?
Par exemple, de plus en plus d’omni-praticiens adressent quasi toutes leurs endos en cabinet exclusif, pour sécuriser au maximum leurs soins prothétiques à venir. D’autres adressent toute leur pratique de chirurgie.
Logiquement, certaines compétences se perdent ensuite, car des actes non pratiqués couramment ne permettent pas d’entretenir les savoir-faire. Ce qui accélère la perte de confiance en soi.
Quel lien avec le burn-out?
Nous savons maintenant que la prévalence de burn-out ou de pré-burn-out est élevée dans notre profession de chirurgien-dentiste. Cet état d’épuisement professionnel fait suite à des situations de stress qui se cumulent, et notamment des vécus d’émotions difficiles qui sont gardées enfouies. Parmi toutes ces émotions, il en est une qui prend une grande part, c’est la peur.
Au coeur de cette question, une émotion : la peur
Peur de mal faire, peur de poursuites judiciaires ou administratives, peur de perdre sa réputation, peur de ne pas répondre à la norme sociale, peur de montrer son ignorance, peur de ses propres réactions, peur des EIG (événement indésirable grave)…
Cette peur peut prendre plusieurs degrés. Du simple doute qui invite à la prudence, jusqu’à l’angoisse absolue qui prend toute la place et dont on n’est même plus capable d’analyser l’origine. Elle entre en jeu dans la mise en place d’une pratique défensive.
Elle conduit d’abord au sur-diagnostic, et puis à une forme d’égarement, où l’épuisement aidant, le professionnel de santé perd son sens du discernement et ne sait plus vraiment où il se situe dans son champ de compétences…
Comment ça s’explique?
Cette pratique défensive c’est une sorte de cercle vicieux qui nous attrape, un processsus qui s’enclenche. Cela commence par une recherche de performance, de perfection, dans un désir légitime d’être un professionnel de santé irréprochable. Et puis ça se termine en perte d’estime de soi et perte réelle de compétences…
A la longue, le dentiste défensif perd des compétences et s’expose au burn-out
Tous les praticiens ne sont pas concernés par ce mode de fonctionnement. Il est donc intéressant pour l’éviter, de chercher à comprendre quelles sont les spécificités qui y sont corrélées.
L’image que l’on a de soi-même, cette forme d’a priori qu’on appelle « self-theory » semble être un point clé. Elle détermine notamment notre attitude devant l’échec, et notre capacité à apprendre de nos erreurs.
Le risque juridique n’est pas suffisant pour expliquer l’attitude défensive. Une bonne RCP protège, mais n’empêche pas la peur de passer à côté d’un diagnostic, de recevoir des reproches, des moqueries ou de subir un contrôle sécu. La pression morale du groupe social et les auto-injonctions, le doute personnel comptent pour beaucoup.
Dentiste défensif perte de compétences et burn-out…comment éviter cette spirale infernale ?
Parmi les pistes à explorer on peut :
- travailler à reconsidérer son image de soi, et en comprendre le retentissement sur notre réaction à l’échec
- réfléchir à son positionnement dans la relation patient
- s’interroger sur la place du sentiment de responsabilité et de culpabilité
- oser évaluer ses pratiques professionnelles et se comparer, ne pas rester seul, pour bien fixer son champ d’exercice. En effet, respecter ses choix, être conscient de ses limites et pouvoir déléguer en conscience reste une nécessité.
Comprendre les mécanismes à l’oeuvre permet de ne plus subir sans savoir. C’est déjà se donner la possibilité d’évoluer.
Cela fait partie de ce que nous abordons dans notre Bilan de Compétences.
Je vous conseille à ce sujet de lire ma traduction de l’article suivant :
Self-theory, Médecine et Apprentissage, comprendre comment nos croyances influencent nos objectifs, nos émotions et notre comportement dans nos apprentissages en médecine
« Croire, c'est voir : comment nos croyances influencent nos objectifs, nos émotions et notre comportement«
Ici le lien vers l’article original, avec les références:
Dr. Marie-Hélène HAYE, allias « La Gutta Perchée »
BOUDEAU Louis-Marie | 15 mars 2022 à 8 h 13 min
Bonjour Marie Hélène, et merci d avoir (osé !) mettre un mot sur ce qui est au cœur du phénomène de burn out, « la peur ».. Pour l avoir vécu (et le vivre encore) c est exactement ça le problème: »peur de faire mal, peur de mal faire ».. Notre profession est en contact permanent avec la douleur, or nous recherchons tous à éviter la douleur… Notre charge mentale est donc énorme vis a vis de cela..
LOUIS MARIE
Francoise Grégoire | 15 mars 2022 à 3 h 22 min
Merci .voilà une manière d aborder notre exercice très interressante et d envisager le mécanisme du burn out dont aucun de nous n est à l abri. Se remettre en cause et connaître ses limites affronter la peur on n en parle jamais .et pourtant c est courant de se gendarmer, de s automotiver spécialement pour les extractions j ai toujours l impression d’ affronter à ma crainte de ne pas y arriver.c est aussi en endo dont les difficultés ne sont pas toujours previsibles que le doute sur nos compétences peut s insinuer .c est un métier où il faut être en forme dans son corps et dans son esprit
Gissat Sophie | 13 mars 2022 à 11 h 51 min
Bonjour,
J ai réfléchi à mes limites de mes compétences et à ma gestion du stress la semaine dernière.Cet article m a confirmé que mes questionnements étaient bien légitimes.
Merci à toi de prendre soin de notre profession.
Marie-Hélène HAYE | 13 mars 2022 à 23 h 41 min
Avec plaisir Sophie. Merci à toi de ton commentaire et bienvenue dans la construction consciente de ton champ de compétences. Un très bon moyen de mieux vivre son métier 🙂