Dr. Marie-Hélène HAYE Soutien du Chirurgien-Dentiste

Chirurgiens-Dentistes, votre travail, c’est quoi? 1/n

21 mars 2021

soin dentaire

Tentative d’épuisement du sujet…

 

La question est surprenante entre nous puisque vous êtes, comme je le suis, chirurgien-dentiste. Vous connaissez par conséquent parfaitement ce métier que vous exercez. D'ailleurs qui pourrait le connaître aussi bien que nous, alors qu'on travaille sur un champ opératoire si petit et si difficile d'accès visuel pour les autres. Impossible en effet de remplacer l’expérience du terrain clinique tant les patients, leur bouche, leurs pathologies, leurs besoins… peuvent être différents.

Nous sommes nombreux à souhaiter que notre travail ait du sens et soit épanouissant. Selon le cas, nous  réussissons  plus ou moins bien à y parvenir.

Nous sommes aussi nombreux à être saturés par ce travail et à chercher des solutions pour nous y sentir mieux, ou même pour le quitter. Les échanges dans la confrérie, notamment sur les réseaux sociaux en témoignent.

Où s'arrête notre travail, où commence notre vie personnelle ? En ce moment-même, vous lisez cet article, vous avez peut-être passé du temps sur Facebook ou Twitter, vous sentez-vous au travail ? Lors d'une insomnie, vous pensez à un cas clinique difficile, c'est du travail ?

Et moi aujourd'hui qui écrit cet article, mais qui n'ai plus d'exercice clinique, et qui ai la prétention d'accompagner les autres, suis-je encore chirurgien-dentiste ?

Définir le travail

Ce flot de questions interroge notre définition du travail, et me rappelle cette phrase, empruntée à Christophe Dejours, psychiatre et psycho-dynamicien du travail, universitaire parisien, dans l’une de ses conférences :

« Le travail, c'est comme l'inconscient, tout le monde en a un et croit savoir ce que c'est… Essayez donc de vous allonger sur le divan, et vous allez comprendre… » Christophe Dejours

Sous-entendu, définir ce qu'est le travail, ce n'est pas une mince affaire, et il y aurait autant de définitions du travail que de travailleurs.

En effet, le champ est vaste, et je vous propose quelques brèves contextualisations historiques pour en commencer l'exploration.

Retour à l’antiquité

L'évocation du mot travail nous fait immanquablement évoquer son étymologie : le fameux tripalium. Le tripalium, antique instrument de torture, sorte de croix formée de trois pals ou pieux réunis en leur centre, serait donc à l'origine de notre rapport au travail. De là viendrait l'idée qu'un travail est forcément pénible, et malmène nos corps, nos esprits, nous mettant sous la contrainte  des ordres, des injonctions, induisant un vieillissement prématuré. D'ailleurs quand les français, mangeurs de pain s'il en est, disent qu'ils « travaillent » la pâte, ils la retournent, la pétrissent, la malaxent, la façonnent… Les femmes qui ont accouché se souviennent d'avoir été happée par le « travail ». Oui, quand les contractions se déclenchent, difficile de penser à autre chose et le corps est tout entier monopolisé à la tâche!  En revanche pendant longtemps on admet que les nobles et les ecclésiastiques ne « travaillent » pas, quoique… Comme chaque humain, confrontés à leur dialogue intérieur, à leur propre cheminement, ils sont aussi « travaillés » par leurs questionnements. Jusqu’à l’Inquisition qui soumet à la Question en utilisant le tripalium, il n’y a qu’un pas. La boucle est bouclée.

Le travail : un rapport au corps, à l’esprit, à la domination

Au XIXème siècle

Avec l'évolution des connaissances scientifiques et la révolution industrielle, la notion de travail se frotte à une définition plus physique et mathématique. Cela devient l'énergie fournie par une force qui bouge ou déforme quelque chose. Le travailleur par son action fournit une énergie, en contrepartie de quoi il reçoit de l'argent. L'argent est donc le support concret et commode pour échanger de l'énergie.

Le travail s'exprime en Joules, mais pas que ! Au choix, faites votre marché entre les Newtons·mètres, les kg·m²·s², les Watts·secondes ou kilowatts·heures (attention, c’est différent des kilowatts/heure) mais aussi les Pascal·m3,, la calorie, la thermie, le kilogrammètre… tout ça à partir de l'idée de la conservation de l'énergie, et de cette vieille équation que vous avez en mémoire : E=1/2m·v2.

La puissance peut se déduire elle aussi de là, elle est le débit d’énergie, donc  la quantité d’énergie par unité de temps. De ce fait elle s’exprime en Joules/seconde.

Ce qu’on peut traduire par :

  • je suis très puissant si je peux fournir beaucoup de travail en peu de temps,

ou son corollaire,

  • je suis très puissant si je peux dépenser beaucoup d'argent en peu de temps.

Les plus fortunés confortent leur puissance et s'organisent pour posséder les usines-outils et échanger le travail des personnes au plus bas de sa valeur, avec les conséquences désastreuses sur la condition ouvrière qui s'en suivent.

Le travail des Autres : source de puissance

Au siècle dernier

Cette époque voit l'avènement du marché, devenu petit à petit roi du monde. Le travail devient essentiellement la source de revenus qui permettent de consommer et d'acheter sa reconnaissance sociale. L'utilisation des énergies fossiles permet un accroissement sans précédent de la capacité de travail, de production, et de consommation. Nous connaissons maintenant les déboires de cet emballement : pollution, épuisement des ressources, chute de la bio-diversité, dérèglement climatique, maladies d'origine environnementale, perte totale de sens avec l'afflux des bullshit-jobs

Le travail en perte de sens

Aujourd’hui

Que devient le travail dans le monde néo-libéral qui est le nôtre maintenant? On pourrait dire qu'il se rebelle. Génération Y-Z, les millenials débarquent petit à petit dans le monde du travail et refusent les bullshit-jobs. Ils cherchent avant tout à trouver du sens et une source d'épanouissement dans leur emploi. La chirurgie-dentaire n'échappe pas à cette évolution, et la politique devra suivre.

Hélas la transition est rude pour passer d'une logique essentiellement productiviste à une recherche de qualité et de respect du monde.

Et cela n'est pas facile d'autant plus que le modèle néo-libéral fonctionne comme le montre la philosophe Barbara Stiegler, responsable à l’Université Bordeaux-Montaigne du Master « Soin, éthique et santé » dans son essai de 2019 intitulé « Il faut s’adapter » – par une banalisation de l'intrusion étatique dans l'auto-organisation de la société. Ce faisant, il déstructure nos systèmes bâtis à l'échelon local au plus près des besoins d’un territoire.  Il nous oblige à accepter le contrôle de plateformes commerciales ou de grands groupes d'actionnariat privé sur lesquels nous n'avons pas prise.

L'État néo-libéral déposséderait-il ainsi petit à petit la médecine libérale de son outil de travail ?

Quoiqu'il en soit, il semble bien qu'une dentisterie productiviste qui nous conduit à enchaîner des soins sous-évalués, à une cadence permanente au sommet de l'efficience pour aller droit au burn-out, n'a plus sa place.

Le travail en quête de sens

Le sens de notre travail

Cela ne peut être de soigner toujours plus. Ce serait antinomique avec notre raison d'être, qui est de diminuer la prévalence des maladies de la bouche et des dents.

Le sens de notre travail est donc d'accompagner la population afin qu'elle conserve son capital de santé bucco-dentaire le plus longtemps possible. Puis de le maintenir et le restaurer ensuite si besoin est, en fonction des aléas de la vie que rencontrent les patients. Le  respect de cette raison d'être est la condition nécessaire à notre épanouissement.

Objectifs :  #zérocarie #maintenanceparodontale #politiqueprévention #accèsàlasanté

Comment oublier le regard fixé sur le CA pour vérifier qu'on respecte le prévisionnel de façon à assurer les salaires ? Pourrait-on imaginer de le remplacer par une surveillance des relevés statistiques sur les résultats de nos soins ? Je crois qu'à l'image de la pâte à pain qui a besoin d'être travaillée, nous aurions bien besoin de « travailler » l'organisation de notre système de soins bucco-dentaires.

Pour terminer

Finalement le travail du chirurgien-dentiste ce serait quoi ? Nous avons déjà un début de réponse :  ce n'est certainement pas de « produire » du soin, mais plutôt de répondre par des soins au besoin médical du patient, de façon adaptée à sa personne. C'est aussi l'évaluation des résultats de ces soins et la mise en place de la prévention.

Ainsi, il pourrait bien exister plusieurs façons d'exercer le métier de chirurgien-dentiste…

Le sujet est loin d'être épuisé !

A suivre donc…

Dr. Marie-Hélène Haye, chirurgien-dentiste, alias : la Gutta Perchée

Compte Twitter @MH_HAYE

Compte Twitter @CoGutta